L[size=18]es évadés sont armés, ils ont pris deux surveillants en otages, des coups de feu ont été tirés : la direction donne l'ordre d'ouvrir la dernière porte vers la liberté. Cela fait trois quarts d'heure que l'évasion a commencé. Et pourtant, alors que l'alerte a été donnée depuis le début, dehors, sur le parking, la voie est libre. Ni policiers ni gendarmes. Briser la vitre d'une R19, bricoler les fils, et c'est parti, à 200 à l'heure pour 800 kilomètres de cavale, cinq prises d'otages et autant de voitures volées. Et quoi au bout ? La mort peut-être ?
Ce dimanche-là, Catherine Charles a éteint son téléphone portable. Elle est partie loin, en banlieue, chez un copain qui l'aide à mettre ses poèmes chantés, ses «slams», sur internet. Elle est la mère de Christophe Khider, 37 ans, 1,80 mètre, 72 kilos, détenu depuis 1995, libérable en 2038, et de Cyril, 35 ans, 1,69 mètre, 64 kilos, détenu depuis 2001, libérable en 2010. Ex-voleuse, ex-dealeuse, ex-junkie, séropositive, 15 condam nations, huit ans d'incarcération par petits bouts. Ex-compagne de braqueurs, mère d'une fille qu'elle n'a pas élevée et [size=18]qui découvrira à 16 ans qu'elle a été contaminée in utero. «Ma mère est une guerrière», dit souvent Christophe. «Une folle à lier !», pour Jean-François Forget, le responsable de l'Ufap, le principal syndicat pénitentiaire. Lui, il pense que «si ses gamins en sont là, c'est de sa faute». Sa faute ? Elle la paie si cher, et depuis si longtemps...Quand Catherine Charles finit par écouter sa messagerie, c'est la sénatrice verte de Paris Alima Boumediene-Thiery qui lui demande de la rappeler d'urgence. «Tu n'es pas au courant ? C'est grave. Christophe s'est évadé avec un complice, ils ont pris deux surveillants en otages.» Depuis longtemps, Alima et Catherine sont proches. Chacune à sa manière, elles défendent la cause des détenus. Alima au Sénat. Catherine avec son association, l'Arppi (Association pour le Respect des Proches de Personnes incarcérées), son blog (Fraternité à perpète), son émission («l'Echo des cabanes», sur Radio-Libertaire) et ses slams, «pour faire avancer la machine humaine».
Pendant trente-six heures, le temps de la folle cavale, avec sa voix rauque, ses yeux noirs qui se refusent à pleurer, ses cheveux blonds, son incroyable assurance, elle est sur toutes les télés et elle crève l'écran. D'autant que son discours ne ressemble à rien de ce que l'on pourrait attendre. Alors qu'elle sait pertinemment que, de voiture volée en voiture volée, son fils écoute la radio, elle ne lui demande pas de se rendre, car elle n'accepte pas «qu'il retourne mourir à petit feu en prison, sous trois tonnes de béton». Elle est persuadée qu'il ne fera pas de mal à ses otages, «parce que c'est un gentil». Elle dit que son évasion est «un suicide politisé», et qu'il va se faire tuer, parce qu'il n'a pas d'autre choix.