Mélanie et Odile
Le parloir avec ma fille se passe souvent très mal. C'est pour moi un moment très dur. C'est sa deuxième incarcération. Mélanie se drogue depuis l'âge de quinze ans. Elle en aura vingt deux dans quelques jours. Elle n'a pas supporté mon divorce d'avec son père. Elle ne s'en est jamais vraiment remis.
Pour être honnête je ne sais pas ce qu'elle pense de ma venue au parloir.
Ici, elle est bourrée de cachets. A chaque fois c'est un déchirement de la voir dans cet état. Elle pique du nez quand je lui parle et me répond par onomatopées avec parfois plusieurs longues secondes de décalage entre les mots. Elle se gratte jusqu'au sang sur tout le corps.
C'est très éprouvant de voir son enfant dans un tel état de délabrement.
Je ne crois pas que la prison soit la solution à sa dépendance. Bon, là, bien sur, le vol et tout ça elle a été un peu loin, mais tout est lié à l'addiction.
Le plus dur à avaler est lorsqu'elle me raconte les trafics de produits intra muros. C'est à peine croyable moi qui la pensais à l'abri pendant sa détention. Le Subutex, les somnifères tous ces médicaments de substitution qui se vendent à prix d'or à l'intérieur. Je suis atterrée de constater que sa dépendance est ici alimentée ici par toutes sortes de produits prescrits en toute légalité. C'est presque pire qu'à l'extérieur. C'est tellement hypocrite comme système ! Je lui envoie quand même des mandats pour qu'elle ne manque de rien. Que puis je faire d'autre ?
A chaque nouveau parloir elle me demande si je lui apporté du shit. Je dis non.
- Tu ne peux pas me demander ça.
Elle entre dans des colères terribles où elle me traite de tous les noms. Elle peut même être violente. Elle a d'ailleurs déjà levé la main sur moi. Mais bon, c'est ma fille et je ne peux pas la laisser tomber. Déjà que toute la famille lui a tourné le dos. Non. Vraiment je ne peux pas l'abandonner. Je me demande toujours ce que j'ai pu rater dans son éducation pour qu'elle en arrive là.
J'ai du déménager deux fois pour me rapprocher d'elle. Souvent je me demande comment j'aurais fait si matériellement je n'en avais pas eu de moyens, comme pour la majorité des femmes qui sont ici. C'est terrible quand j'y pense, toutes ces jeunes femmes sans visite, sans courrier, sans mandats dans de telles conditions. Il paraît qu'il y en a même qui se prostituent pour d'autres. C'est horrible cette promiscuité. Tellement stérile au bout du compte parce que tout cela ne résout rien.
Je ne sors plus, je ne vois plus mes amis, je ne fais plus rien. Ma vie se construit au rythme des parloirs.